
Avec l’entrée en Carême, trois mois s’ouvrent devant nous ! L’horizon est fixé sur Pâques et le dimanche de Pentecôte qui achève le temps pascal. Beaucoup de nos propositions pastorales insistent sur le Carême plus que sur le temps pascal. Mais la liturgie accorde cinquante jours au déploiement de la résurrection du Christ, davantage qu’à sa préparation en quarante jours. Et ces trois mois d’une vie liturgique intense et variée nous donnent accès aux plus belles pages des Écritures.
Or, dans l’écoute de la parole de Dieu, c’est déjà l’Esprit de Pentecôte que nous pouvons invoquer. Les lectures de ce premier dimanche de Carême convergent sur le risque mortel de tordre l’Écriture. Dans l’évangile de Matthieu comme dans la Genèse, le tentateur gauchit volontairement la parole de Dieu. Ce mensonge initial perturbe Ève puis Adam, tandis que Jésus résiste à cette manœuvre diabolique en s’appuyant sur sa relation au Père.
Nous connaissons les risques d’une lecture fondamentaliste de la Bible, mais l’Écriture elle-même nous prévient d’un danger structurel, celui de recevoir la parole de Dieu en la tordant à notre profit. La pédagogie de la liturgie est donc d’insérer la lecture des Écritures à l’intérieur d’un cadre qui doit nous protéger de toute manipulation mortifère.

Dans la première lecture de ce premier dimanche de carême, la question du serpent donne à la femme l’occasion d’exprimer à voix haute ce qu’elle sait de l’interdiction concernant l’arbre au milieu du jardin. Après avoir rappelé que le don de Dieu est premier et concerne tous les arbres, elle rajoute : « Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : “Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.” » Pour répondre, Ève répète une interdiction qu’elle n’a pas pu entendre, n’étant pas encore créée au moment où Dieu la donne à Adam.
Or la réponse d’Ève ne correspond pas à ce qu’a dit Dieu qui a seulement demandé de ne pas manger de l’arbre. Il est possible que la transmission ne se soit pas bien faite entre Adam et Ève. Mais il est également envisageable qu’Ève, pour protéger l’interdit, l’ait accentué. Elle aurait alors rajouté l’interdiction de toucher l’arbre qui n’apparaît pas dans l’injonction première de Dieu.
En ce jour où nous communions au Christ vainqueur des tentations, nous nous mettons à l’école de son attitude vis-à-vis du pouvoir et de l’avoir, en accueillant comme lui la vie qui vient du Père. Puisse l’Esprit, dans ces trois mois essentiels, nous donner de recevoir la parole de Dieu sans la gauchir.

La tentation de Jésus : Etre fils de Dieu, la tentation de la toute-puissance.
Le récit de la tentation de Jésus nous est raconté par les trois évangiles synoptiques : Marc, Matthieu et Luc. Dans les trois récits, la tentation au désert est liée au baptême du Christ et c’est l’Esprit Saint, reçu au baptême, qui pousse Jésus au désert. L’autre lien qui unit fortement nos trois évangélistes, c’est le fait que le diable reprend par deux fois le titre reçu au baptême par Jésus, en le mettant en doute : « Si tu es le fils de Dieu ? ».
Jésus est le Fils de Dieu, il est rempli de l’Esprit Saint, que va-t-il faire de cette filiation ? Nos trois évangélistes vont alors diverger quant à la lecture qu’ils font du récit de la tentation et chacun va insister sur un point différent.
Un chemin que nous avons aussi à emprunter.
Au baptême, nous sommes nous aussi devenus fils de Dieu. Nous aussi, nous sommes pleins de l’Esprit Saint reçu au jour de la confirmation. Nous aussi nous sommes immortels et entrés dans la vie éternelle. Mais, comme Jésus nous seront nous aussi tentés dans la vie. Le chemin que nous devons alors suivre face aux tentations, c’est le même chemin que le Christ : celui de l’humilité, celui de l’abandon, celui qui refuse la toute-puissance pour se mettre au service de la Parole, au service de l’homme. C’est un chemin qui refuse d’imposer sa loi à Dieu et aux hommes mais qui passe par l’amour et par donner sa vie pour ceux qu’on aime.
Voilà, le chemin du Christ, voilà le chemin de l’Eglise et des baptisés. Le suivons-nous toujours ? Bien souvent, non ! Mais en ce temps de carême, saint Luc est là pour nous rappeler que si nous voulons être appelés fils de Dieu, le seul chemin est celui qu’a emprunté le Christ avant nous.
Père Luc Forestier, oratorien, directeur de l’Iséo (Institut catholique de Paris)